Nous voilà déjà en juin 2023. C’est pas croyable comme le temps passe! Après avoir repris mon sac en mai pour une petite mise en jambes sur l’île de Madère, il est temps d’attaquer le “plat principal” du menu-voyage de cette année. C’est un peu la continuité de celui de l’année d’avant, puisque je continue mon exploration de la Grèce, en me focalisant uniquement sur les îles. Encore une sacrée aventure: après une semaine en Crète, je t’emmènerai ensuite à travers les Cyclades, d’île en île, certaines connues, d’autres un peu moins… Je pense pouvoir affirmer que c’est un des voyages les plus pasionnants et diversifiés qu’il m’ait été donné de faire! Alors, c’est quand tu veux, je te laisse boucler tes bagages et je t’attends!
- Arrivée en Crète – petit préambule.
- Le monastère d'Arkadi et Rethymnon.
- Chania.
- La presqu'île d'Akrotiri.
- La côte ouest.
- Kandanos, loin des sentiers battus…
- Les gorges d'Imbros et Chora Sfakion.
- Les gorges de Samaria d'Agia Irini et Paleochora.
- Le sud de la Crète, entre monastères et sites minoens.
- Le plateau du Lassithi.
- En route vers Agios Nikolaos – les villages en "Kr".
- Retour à Heraklion: la "boucle crétoise" est bouclée!
- LE "DEBRIEF" DU VOYAGE:
Arrivée en Crète – petit préambule.
Mon vol d’une durée de 3 heures, direct depuis Bruxelles), atterrit à Heraklion vers 10H30. Celà a impliqué un départ très très tôt et une nuit de sommeil plutôt courte; pas grave, je rééquilibrerai la balance la nuit prochaine. Il fait chaud, sans que ce soit pour autant la canicule. C’est déjà çà!
Avant de me lancer dans ce superble périple, on va un peu situer la Crète. Déjà, je ne te ferai pas le paragraphe habituel “drapeau – hymne – plaque”, car la Crète fait partie de la Grèce… à laquelle elle n’a été rattachée qu’en 1913! À vol d’oiseau, l’île se trouve à 320 km d’Athènes et à 350 km des côtes lybiennes. La Crète est facile à repérer, c’est la grande île toute en longueur au sud-est de la Grèce (225 km de long sur 55 km de large). C’est la plus grande île grecque, et la cinquième en taille de la Méditerrannée (après la Sicile, la Sardaigne, Chypre et la Corse).


Par contre, renoncer à MA phrase “le décor est planté, on peut y aller ®”, çà c’est hors de question…
Le monastère d’Arkadi et Rethymnon.
Pour une fois, je vais déroger à mes habitudes en démarrant mon itinéraire en voiture tout de suite. Je m’intéresserai à Heraklion plus tard, j’y reviendrai de toute façon puisque son port constituera mon point de départ pour les Cyclades! C’est un joyeux bordel à la sortie de l’aéroport: des tas de gens avec des pancartes, des agences d’excursions en autocar, et de l’autre côté de la route, les loueurs de véhicules. Outre les grandes enseignes, on y trouve une pléthore de petites agences locales aux prix certes plus intéressants, mais avec des véhicules parfois loin de leur première jeunesse. Je prends un petit modèle, comme d’habitude, pas la peine de frimer avec une grosse cylindrée…
Je pars vers l’ouest, en gros je vais tourner dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, sans pour autant faire le tour complet de l’île; j’ai choisi d’occulter la partie est, au-delà de Agios Nikolaos. Donc voilà, après m’être extirpé de la périphérie d’Heraklion, me voilà sur la voie rapide principale de l’île, qui longe la côte nord jusqu’à Chania et Kissamos. Je retrouve cette particularité bien grecque, où les véhicules plus lents roulent en partie sur la bande d’arrêt d’urgence pour ne pas gêner les autres.
Avant de rejoindre Rethymnon, je m’offre un petit crochet bucolique par des routes de campagne, à travers les ondulations d’un paysage verdoyant. Je me rends au monastère d’Arkadi, un site religieux orthodoxe de première importance en Crète. Cet endroit est le symbole crétois de la résistance à la domination ottomane au 19ème siècle. Durant la révolte crétoise de 1866, plusieurs centaine de personnes (des résistants, mais aussi des femmes et des enfants) se réfugièrent au monastère. Les Turcs, après plusieurs jours de siège, parvinrent à pénétrer à l’intérieur. Les assiégés, plutôt que de se rendre, firent sauter les réserves de barils de poudre présents dans l’enceinte. La majorité de ceux-ci y laissèrent la vie, ainsi qu’un millier de combattants turcs. Symbole de résistance et de sacrifice, le monastère est devenu un sanctuaire national. Mais la notion de sacrifice pour les pauvres gosses qui y sont resté, à titre subjectif ça pose question, quand-même…





L’entrée principale du monastère est un peu déroutante, on dirait un bâtiment fortifié. À l’intérieur, l’église à deux nefs est entourée de divers bâtiments comme le réfectoire, le cellier et les cellules des moines (dont 3 vivent encore ici), ainsi qu’un petit musée. Les endroits les plus symboliques du monastère sont évidemment son ancienne poudrière et ce fantômatique cyprès mort, dont le tronc est criblé d’impacts de balles. Pas mal de groupes scolaires visitent les lieux, ça coule de source que la jeunesse crétoise sache ce qui s’est passé ici.






20 km à peine me séparent de Rethymnon (Ρέθυμνο), la troisième plus grande ville crétoise, un peu négligée des visiteurs au profit de Chania. L’air de rien, on est déjà à 70 km à l’ouest d’Heraklion. Je vais aller tâter le pouls de cette petite ville côtière, bien moins tentaculaire que Heraklion. Pour se garer, c’est assez facile de dégoter une place le long de la route qui contourne l’imposante forteresse vénitienne du 16ème siècle, bâtie par les vénitiens (hé oui, la domination vénitienne, la Crète a connu aussi) . Comme entrée en matière, il faut avouer que ça a de la gueule!



Après un petite pause miam-miam (souvlaki et bière, c’est toujours aussi bon, ce petit duo!), je m’engouffre dans les ruelles étroites et ombragées de la vieille ville, de taille assez modeste mais qui prodigue son lot de petites trouvailles. Si certaines boutiques sont un peu envahissantes (vêtements, souvenirs…), il y a encore moyen de trouver des petits commerces populaires, genre épicerie, boucherie, fréquentés par les habitants.





Quelques monuments intéressants méritent le coup d’oeil, comme l’église des Quatre Martyrs, bâtie à l’endroit où 4 chrétiens furent décapités par les Turcs en 1824, ou la mosquée Neratze, ancienne église vénitienne convertie en mosquée au 17ème siècle, avec son minaret qui ne fait pas dans la demi-mesure. Mais le monument iconique de Rethymnon, souvent cité quand on se donne rendez-vous en ville, c’est la fontaine Rimondi, qui pourtant se situe à un emplacement si discret et est de taille si modeste qu’il serait facile de passer à côté sans y faire attention (c’est vrai qu’elle est vachement moins grandiloquente que celle de Trevi à Rome!); l’eau jaillit de trois têtes de lion, l’animal devenu symbole des vénitiens.



On va maintenant se rapprocher de la mer, il faut que je te montre le coin le plus mignon de Rethymnon: son vieux port vénitien, avec son ancien phare et ses petites barques qui dansent sur l’eau; seulement, faut pas rêver, c’est touristique, les parasols des terrasses de restos sont là pour en témoigner. Ou alors il faut s’y balader au petit matin, quand il n’y a encore personne…






Chania.
De Rethymnon, je repars vers l’ouest par la voie rapide (j’aspire quand-même pour plus tard aux petites routes de montagne!) pour atteindre la première étape de mon voyage: Chania (Χανιά), appelée aussi La Canée, deuxième ville crétoise et ancienne capitale de l’île jusqu’en 1971, avant de céder la place à Heraklion. Elle est très souvent considérée comme la plus belle ville de Crète. Je vais aller vérifier cà, le temps de poser mon sac à cette petite pension familiale où les tarifs à moins de 40€ sont encore une réalité.
Après avoir longé une partie des fortifications, dont les remparts et les bastions sont encore bien conservés, j’atteins le port vénitien. Hé bien Chania, tu marques un premier point: l’endroit est magnifique, et l’architecture des maisons me rappelle instantanément un certain pays en forme de botte; très ouvert et lumineux, plus grand que son homologue de Rethymnon, c’est un fait. Dieu merçi, il est piétonnier, et quoique ce soit l’épicentre touristique de la ville, les terrasses ne donnent pas l’impression qu’elles ont envie de te pousser dans la flotte. Un autre monument, avec son dôme rouge, n’a lui rien de vénitien: c’est l’ancienne mosquée Küçük Hasan, ou mosquée des Janissaires, un exemple marquant du passage des turcs en Crète; son minaret a été détruit en 1920, et de nos jours elle accueille un centre d’expositions.










Derrière le vieux port, la vieille ville déploie son entrelacs de petites ruelles et de volées d’escaliers, où les vieilles maisons aux tons ocre ou rose qui sentent bon l’Italie alternent avec des bâtiments d’allure plus orientale. Les petits commerces traditionnels n’y ont pas encore dit leur dernier mot, même si certaines boutiques de souvenirs ou de mode peuvent agacer. Il n’est pas rare que des bougainvilliers aux couleurs éclatantes débordent des façades. La vieille ville est divisée en plusieurs quartiers: celui de Topanas, à l’ouest du port, est le plus touristique et le plus fréquenté; pour ressentir un peu plus d’authenticité, il vaut mieux aller se balader dans les quartiers de Kastelli et Splanzia, à l’est du port. Quelques maisons sont encore délabrées voire en ruines, témoignage des bombardements que Chania a subi durant la Seconde Guerre…










La fin de l’aprem s’amorçe déjà, je pars en quête de bonne pitance en me fiant à mon instinct. Donc, exit les restos à menu en 5 langues et à rabatteurs qui font “hello” pour t’alpaguer (moi je passe mon chemin en répondant “goodbye”…). Un peu à l’écart de la vieille ville, je trouve ce qu’il me faut: un petit resto pas ostentatoire, avec une enseigne en grec. Pas de menu, on choisit directement dans de grandes casseroles ce qu’on voudrait dans son assiette. Je prends quelques beignets de légumes et des rouleaux de viande avec du riz. Simple, pas cher, et ça cale son homme!
Patsas Agnos Marmaritzakis (πατσας αγνος μαρμαριτσακης) – odos Sfakianaki 4-6.

La soirée voit la transition clair-obscur s’opérer plus tôt que chez moi en Belgique, décalage horaire + 1 heure oblige: peu après 21 heures, le crépuscule s’installe. Je vais encore musarder un peu du côté du port, car je ne t’ai pas encore tout montré. À l’est du port, les quais longent l’ancien arsenal vénitien et les docks; c’est là que les bateaux étaient construits ou réparés. Au-delà des docks, une longue jetée de 600 m rejoint le vieux phare égyptien, lieu de ralliement en soirée, entre autres pour admirer le coucher de soleil. Mais tiens, pourquoi “égyptien” et pas vénitien? En fait, même si un phare a bien été bâti par les vénitiens au 16ème siècle, une autre mouture fut reconstruite plus tard par les Egyptiens, alors alliés des ottomans. La vue sur Chania y est fantastique, c’est un euphémisme!
Voilà donc une très belle première journée qui s’achève. Je ne serai cependant pas long à aller dormir, j’ai du sommeil à rattraper!





La presqu’île d’Akrotiri.
J’ai dormi 9 heures, ça me ressemble pas, mais il fallait bien çà! Pas question de quitter Chania avant de goûter cette petite douceur crétoise qu’on appelle bougatsa: c’est un petit feuilleté fourré à la crème ou au fromage crétois mizithra, saupoudré de sucre semoule et servi chaud. Avec un petit café, celà fait office de rapide petit-déj’ pour nombre de crétois. Il paraît qu’il existe des versions salées, aux épinards ou à la viande.

Ce matin, direction le nord-est de Chania, pour explorer la presqu’île d’Akrotiri, une petite région d’aspect rural et peu fréquentée. C’est là que se trouve l’aéroport de Chania, à 14 km de la ville. Heureusement, le trafic aérien y est moins dense qu’à Heraklion, ce n’est pas invivable question nuisances sonores. Légumes, vignes, oliviers, avec les montagnes en toile de fond, c’est pas mal du tout comme décor!



Le coin est connu aussi pour ses quelques monastères, que je vais aller voir de plus près. Voici le monastère Agia Triada, bâti au 17ème siècle et dont l’accès, par une route étroite bordée de cyprès, ne manque pas de charme. Sa façade et sa porte fortifiée ne sont pas sans rappeler le monastère d’Arkadi. À l’intérieur, l’église de style byzantin à 3 dômes est posée au milieu d’une très belle cour, entourée de petits jardins débordant de fleurs et d’orangers. C’est un des monastères les plus visités de Crète, c’est sans doute ce qui explique la taille du parking, encore bien désert pour le moment…











À 4 km de Agia Triada, le monastère de Gouverneto est plus petit et plus discret que son voisin. Il est encore habité par des moines et on l’atteint par une route de montagne étroite et pas toujours en bon état, sans compter quelques chèvres qui ne connaissent pas le concept “regarder avant de traverser”! Moins impressonnant et d’aspect plus austère, il n’en demeure pas moins un petit havre de paix pour ses résidents. Il a été bâti pour remplacer l’ancien monastère de Katholiko.




Et justement, cet ancien monastère de Katholiko, où se cache-t-il? Pour le découvrir, il faut quitter le monastère de Gouverneto par une modeste porte grillagée le long du mur d’enceinte. De là, démarre un sentier mi-rocailleux mi-dallé, en descente, qui offre des points de vue sublimes sur les collines arides et la mer en contrebas. Attention, c’est très exposé au soleil, et comme il faudra inévitablement remonter, tu prendras les précautions ad hoc (casquette, crème solaire, bouteille d’eau..;)! Ça cognait déjà bien à 10 heures du matin. Pour “compenser” l’effort, il ne faut que 1,5 km pour atteindre le monastère.



Au bout de 10 minutes, je croise une poignée de bâtiments en ruines, ainsi qu’un endroit plutôt étonnant: une vaste grotte, basse de plafond, dans laquelle se dissimulent une petite chapelle et un autel en pierre. C’est la grotte d’Arkoudospilio, autrement dit “grotte de l’ours”, en référence à une énorme stalagmite ressemblant plus ou moins à l’animal. Dans l’antiquité cette grotte était dédiée à la déesse Artémis.





Le sentier continue de descendre en zig-zag, je n’aperçois toujours pas le monastère, il est bien planqué dans le relief montagneux et ne se dévoile qu’aux dernières minutes d’approche. L’endroit, tapi au fond d’un petit canyon, est spectaculaire et empreint de sérénité. Le monastère de Katholiko, abandonné au 16ème siècle à cause des invasions trop fréquentes de pirates (la mer est toute proche), est partiellement en ruines. Mais avec le silence environnant, hormis le chant des oiseaux ou un lointain bêlement de chèvre, il s’en dégage une certaine magie. Dans la minuscule église taillée dans la roche, il est possible d’allumer une bougie en offrande.





La côte ouest.
Je reprends ma route en dépassant Chania et en reprenant vers l’ouest, bon gré mal gré, cette foutue voie rapide qui ne m’embêtera plus très longtemps car elle se termine là où je vais faire un petit arrêt, à Kissamos (Κίσσαμος). C’est la porte d’entrée de la côte ouest de la Crète, celle des plages paradisiaques, certaines isolées et dificiles d’accès, d’autres bondées en été (on s’en doute un peu!). Pas grand-chose à voir à Kissamos, c’est plutôt un endroit pour se poser et rayonner dans la région.



Le petit village de Kaliviani (Καλυβιανή), à 6 km, est autrement plus mignon avec ses ruelles et son église doté d’un gracieux campanile. Quelques terrasses discrètes de restos s’éparpillent autour de la petite place; celui où je m’installe a une vue sur la mer qui n’est pas désagréable du tout, et propose une excellente cuisine crétoise. Sonom: le Gramboussa. C’est parti pour des dakos, ces grosses tranches de pain grillé garnies de tomates hachées et de feta, avec de l’huile d’olive, qui imprègne le pain craquant et le rend plus moelleux. Le mariage de textures et de saveurs est une merveille, tout comme cet agneau cuit au four et recouvert d’une croûte de miel; le sucré-salé marche très bien en Crète, et le miel en Grèce, c’est oimme une deuxième religion. Et pour me changer des Alfa ou Fix, rien de tel qu’une bière crétoise Charma, excellentissime!





Qui dit Crète dit plages, c’est une évidence, et la côte ouest en compte quelques-unes parmi les plus belles de l’île. Cependant, tout est relatif selon leur fréqentation touristique. La longue plage de Falassarna, à 15 km de Kissamos, serait bien plus photogénique sans cette armada de transats et de parasols. Mais c’est le week-end, les crétois de Chania ou de Rethymnon se mêlent aux touristes dans une joyeuse pagaille! Même le paysage de l’intérieur des terres ne relève pas le niveau, avec ce patchwork de serres en plastique, abritant fruits et légumes divers (c’est laid, ça me rappelle les bananeraies de Gran Canaria….).



Au sud de Falassarna, il n’y a pas de route côtière, le relief n’y étant pas propice. Pour rejoindre Elafonissi, j’emprunte une très belle route de montagne qui, au fur et à mesure de la grimpette, me gratifiera de paysages somptueux sur la mer et les falaises, en passant par quelques petits villages assoupis, comme Sfinari ou Kampos. Ah, et ces jolies fleurs roses, omniprésentes sur l’île aussi bien le long des routes que sur les flancs de montagnes, ce sont des lauriers-roses!





Peu avant Elafonissi, la route bifurque et indique un monastère à moins d’un kilomètre de distance. Allez, pourquoi pas? Voici le monastère de Chrysoskalitissa qui, outre le fait d’avoir un nom à rallonge 😁, a la particularité d’être perché au bord d’une falaise à plus de 30 m du niveau de la mer; un petit chemin en corniche le long de l’édifice permet de profiter de la vue. On raconte qu’au 19ème siècle, un essaim d’abeilles fit déguerpir toute une bande de soldats ottomans qui voulaient investir les lieux. Qui s’y frotte s’y pique… Ce n’est pas forcément le plus beau monastère de Crète, mais il vaut le coup d’oeil.





6 petits kilomètres à peine me séparent de cette plage qui figure fréquemment dans un top 3 des plus belles plages de Crète: la plage d’Elafonissi. Autrefois petit secret bien gardé, elle a fini par céder aux coups de boutoir du tourisme, peut-être aussi aux coups de perches à selfie des influenceurs à la noix… Pas mal de voitures sur de grands parkings payants (faut pas bouder son plaisir, hein), des boutiques, une supérette… Je préfère marcher 200 m de plus et me garer gratos. Une piste sablonneuse prend ensuite le relais (véhicules interdits) pour atteindre cette belle plage prolongée par une petite presqu’île, à l’extrémité de laquelle se dresse un phare.
D’emblée, je remarque que ce n’est pas une forêt de parasols et transats comme à Falassarna. L’eau y est peu profonde et prend des nuances claires et turquoise, un peu comme dans un lagon. Oui, il y a du monde, mais l’endroit est vaste et on ne doit pas jouer les funambules pour passer entre les gens étalés pour se dorer la couenne. En même temps, on n’est qu’en juin… Elafonissi est souvent appelée la “plage rose”. Soyons clairs, toute la plage n’est pas rose, c’est seulement par endroits, surtout au bord de l’eau. Cette couleur provient de coquilles, de morceaux de coraux, de micro-organismes… broyés au fil du temps et réduits en très fines particules! Contrairement à Falassarna, j’irai y faire quelques pas.




Kandanos, loin des sentiers battus…
Alors, vais-je passer la nuit sur la côte, à proximité des plages? Évidemment pas! Ce que j’aime dans une destination, c’est débusquer des endroits vrais, authentiques, où je ne croiserai pas des grappes de touristes et où on ignore ce qu’est un rabatteur de resto! Je m’enfonce donc à l’intérieur des terres, au milieu d’un paysage de plus en plus montagneux tout en restant bien boisé, et je pose mon sac pour 3 nuits en Airbnb à Kandanos (Κάνδανος), un village plutôt méconnu où les touristes se comptent sur les doigts d’une main. Une rue principale, quelques restos pas racoleurs pour un sou, deux supérettes à l’ancienne… moi ça me va! Si l’aspect général du village semble assez récent, c’est parce qu’il a connu un des épisodes les plus sombres de l’histoire crétoise: en 1941, il a été tout bonnement rasé par les allemands, en représailles à une embuscade meurtrière de la part des résistants crétois. Une plaque commémorative a été installée sur la place du village.




Les alentours de Kandanos recèlent de nombreuses petites routes de campagne, où il est bon de se perdre au milieu des champs d’oliviers et des collines boisées. Les gens du coin ne semblent pas encore “conditionnés” par les groupes de touristes, j’ai eu droit plus d’une fois à un yassas (*bonjour en grec) franc et sincère, comme ce gentil monsieur âgé, assis chaque soir au seuil de sa maison isolée, que je croiserai lors de ma balade du soir. Pour info, les grands filets noirs qu’on peut voir au bord des champs d’oliviers sont déployés au sol d’octobre à décembre pour la récolte des olives, qui se fait encore à la main, à l’aide de râteaux pour les séparer des branches et les faire tomber sur les filets.







Les restos de petits villages isolés réservent souvent de belles surprises. Outre un accueil sincère et avec le sourire (pas comme les automates des restos touristiques de la côte), on peut découvrir des petits plats crétois méconnus, qui s’affichent rarement sur les menus en général. Je vais donc à la taverna Mesostrato, où les touristes sont ici remplacés par les vieux du village qui jouent aux cartes ou au tavli, une sorte de backgammon grec. À l’intérieur, une salle carrelée à l’ancienne, avec un poêle au milieu; le patron m’apporte la carte, je vois des plats qui suscitent ma curiosité. Qu’est-ce qu’est que çà, le vrovioi? Ce que je prenais pour des petits oignons sont en fait des bulbes comestibles d’une espèce de jacinthe, la muscari comosum, bouillis puis marinés dans le vinaigre, puis mélangés à de l’huile et à quelques olives. Étonnant, çà! Et surtout… comment ça se prononce?? Passons au gardoumia: pas compliqué, c’est un plat à base d’intestins d’agneau, accompagné de légumes.
Dans les petits restos traditionnels, presque toujours un petit dessert est offert, ou un digestif. C’est l’occasion idéale pour évoquer la boisson “signature” de la Crète: le raki. Cette eau-de-vie de marc de raisin (ce qui reste du raisin après avoir extrait le jus pour faire le vin) peut titrer jusque 45% d’alcool. En fait, raki crétois et tsipouro grec, c’est la même chose. Par contre, la différence avec l’ouzo ou le raki turc, c’est qu’il n’y a pas d’anis dans le raki crétois. Et ici en Crète, c’est pas un mini-verre, c’est carrémént une petite fiole! Ça va même plus loin: dans mon logement Airbnb, j’aperçois dans le frigidaire une petite bouteille d’un litre en verre. Bizarre, y a déjà une bouteille d’eau, pourtant… Je l’ouvre pour humer: je te le donne en mille, c’était du raki! Un petit verre avant de se pieuter, c’est pas si mal…



Les gorges d’Imbros et Chora Sfakion.
J’ai bien dormi, malgré les chiens du voisinage qui ont fait des vocalises durant la nuit; ces sont des aléas qui font partie de la vie d’un village… Les boules Quiès, ça ne vaut rien. J’ai trouvé una astuce: les écouteurs de mon lecteur MP3! J’enlève le câble, je m’en fais un genre de collier, et je le jure, c’est plus efficace que ces foutues boules en mousse… Mais bon, on n’est pas là pour disserter sur mes capacités auditives. Il est temps de se mettre en route.
Pour atteindre ma destination de ce matin, je suis contraint de remonter vers la côte nord, faute d’infrastructures routières suffisantes dans l’intérieur des terrres, et de réemprunter un bout de cette voie rapide sans aucun caractère. Ça ira beaucoup mieux par après, la route de Chora Sfakion est superbe: un paysage de montagnes, entre vignes et oliviers et petites parcelles cultivables, sans trop de circulation; un paysage très varié qui casse l’idée reçue d’une Crète aride où ne pousseraient que des oliviers.




La Crète possède un relief montagneux, et de nombreuses gorges strient sa topographie. On a que l’embarras du choix, des archi connues aux plus secrètes, des autoroutes à randonneurs aux petits paradis isolés… Bon nombre d’entre elles commencent à l’intérieur des terres et finissent au niveau des côtes. Sur ma route, se trouve l’entrée (ou la sortie selon le sens) des gorges d’Imbros. Longues de 8 km, elles n’ont ni la démesure ni la renommée des gorges de Samaria, mais elles sont plutôt faciles à parcourir, et ce qui ne gâche rien, pas vilaines du tout! Au niveau de la fréquentation, ça passe encore, on est pas au bord de l’apoplexie comme Samaria en juillet-août. N’espère pas pour autant être seul(e) au monde! Le plus saoûlant, ce sont les petits groupes, qui se sentent le besoin de parler haut et fort, comme si leurs états d’âme intéressaient toutes les gorges, chèvres incluses. Pour ressentir les lieux et communier avec la nature, ce serait mieux de diminuer les décibels…






Le passage le plus intéressant des gorges d’Imbros est ce rétrécissement soudain des parois abruptes, jusqu’à ne plus faire que deux mètres de large et à pouvoir les toucher en écartant les bras. Spot photo oblige, il peut y avoir des petits “bouchons” occasionnés par la recherche de l’angle de vue idéal pour réussir son cliché! À cet endroit, une photo vierge de toute personne est quasiment impossible. Peu après, les gorges s’élargissent de nouveau, et la mer apparaît au loin. La fin des gorges est toute proche. Alors, pour revenir à son point de départ, comment ça se passe? Il y en a qui font l’aller-retour à pied, ou alors on peut remonter en taxi ou même négocier un trajet à l’arrière d’un pick-up, certains habitants du coin proposant ce service. Pour 5€ il y a ausi des minibus, mais ils ne partent qu’une fois rempli comme un oeuf et, quand on voit l’état de leurs pneus… je crois que tu as compris. Parce que placer un tabouret en bois près du chauffeur,juste pour faire asseoir un passager de plus, çà pose question quand-même…








La route continue vers Chora Sfakion, dans une descente aux nombreux virages, offrant de belles échappées sur la mer et la côte sud, au relief beaucoup plus aplani qu’à l’ouest. Je passe outre Chora Sfakion (j’y ferai un arrêt au retour), et emprunte une petite route de montagne qui va grimper, grimper, sur 10 km. Les points de vue sont décoiffants, le paysage se fait plus minéral et la végétation se raréfie. Et j’atteins le hameau de Anopoli (Ανώπολη): une poignée d’habitations, un ou deux restos, une petite place avec la statue d’un héros local qui lança une révolte contre les ottomans en 1770. Je vais manger ici, à la taverna Platanos, ce genre de petits restos comme j’ai découvert à Kandanos, où on mange de la vraie cuisine crétoise pour pas cher. De l’agneau rôti (comme en Grèce continentale, un plat qui marche toujours super bien) avec une sfakian pie (je ne sais plus le nom grec), qui ressemble à une grosse crêpe fourrée au fromage mizithra et recouverte de miel. Ils sont forts, ces crétois, pour faire frétiller les papilles des visiteurs!





À quelques km d’Anopoli, les amateurs de gorges un peu plus difficiles et techniques vont trouver leur bonheur avec les gorges d’Aradena, parfois choisies comme alternative aux trop célèbres gorges de Samaria. Bien qu’elles ne fassent que 5 km de long, leur dénivelée est quand-même d’environ 650 m, on est plus sur de la rando sportive que sur une balade en tongs! Ajoute à celà des passages d’éboulis, d’échelles métalliques fixées sur les parois parce qu’on ne peut pas faire autrement, la chaleur estivale, tu comprendras qu’il ne faut pas s’y attaquer avec un brin d’herbe entre les dents… Pas d’eau au fond des gorges, en réalité c’est une faille de la croûte terrestre, résultant de la collision entre les plaques africaine et eurasienne. Et, désolé de te décevoir mais,non, je ne’ai pas parcouru ces gorges. Je passais par Aradena pour autre chose dont je te parle après.




Un pont métallique de 138 m de haut franchit les gorges, et si jamais tu entends “AAAAHHH!!!”, ne t’inquiète pas et ne pense pas au pire, c’est qu’en fait ce pont est un spot bien connu pour le saut à l’élastique!


De l’autre côté du pont, derrière le petit bar, des maisons en ruines, aux jardins bouffés par la végétation, s’éparpillent à côté d’une vieille église byzantine. C’est celà que je suis venu explorer: le village abandonné d’Aradena, déserté à la fin des années 1940 suite à une histoire de vendetta qui a pas mal dérapé et décimé une dizaine d’habitants. Par crainte, le reste du village a progressivement mis les voiles… Je remarque une ou deux maisons restaurées et même habitées. La réhabilitation du village est-elle en cours?






Je redescends vers la petite station balnéaire de Chora Sfakion (Χώρα Σφακίων), qu’on appelle aussi Sfakia (Σφακιά) dispose d’un joli petit port et les montagnes forment une très bele toile de fond. À part çà, c’est davantage un point de passage que de séjour prolongé: on a les randonneurs qui ont bouclé les gorges d’Imbros, ceux qui reviennent des gorges de Samaria ou encore les touristes qui vont visiter le village de Loutro en bateau, seul moyen d’y aller car il n’y a pas de route. Pas grand-chose au final, l’enfilade de terrasses de restos, c’est loin de me faire vibrer…





Voilà, c’est bon pour aujourd’hui, il ne me reste qu’à revenir tranquillement à Kandanos, puis aller manger en soirée dans une petite taverna cachée le long d’une rivière, à 2 km à pied du village. Encore un endroit comme je les aime, loin des foules, avec de la vraie mangeaille et des patrons souriants, et même si leur anglais est balbutiant, mais on arrive toujours à se faire comprendre. Après çà, retour au vilage par une petite route, dans l’obscurité (hé oui, en Grèce il fait noir entre 21H et 21H30!), j’adore me balader dans le noir, les autres sens, comme l’ouïe ou l’odorat s’exacerbent pour compenser le déficit visuel… Le bruissement du vent dans les oliviers, un concert de grenouilles dans un réservoir d’eau (qui s’est arrêté 10 secondes quand je suis passé)… La vraie Crète, elle est ici, pas de discussion possible!
Les gorges de Samaria d’Agia Irini et Paleochora.
Ben alors quoi, qu’est-ce que c’est que ce titre de chapitre en partie barré?? Bizarre, entends-je murmurer… Ça mérite bien une explication! Les gorges de Samaria en Crète, c’est un peu comme la Tour Eiffel à Paris ou le Colisée à Rome: c’est la carte de visite, l’endroit incontournable. “T’as pas fait Samaria, t’as pas vu la Crète”. Je l’avoue, mon idée de départ, ce matin, était bien de m’y rendre. Démarrant très tôt, je suis allé jusqu’à Omalos, où le point d’entrée des gorges se trouve à 4 km. Il est à peine 8 heures du matin, pourtant il y a déjà un certain nombre de voitures ainsi que (déjà) trois autocars de tourisme! OK d’accord. On est dans un autre délire que les gorges d’Imbros. Et ce n’est que le début de la journée, ça va continuer à affluer. Si c’est pour côtoyer une ribambelle de braillards sur plusieurs kilomètres, ça va pas le faire…
Je commence à réfléchir, d’autant plus que la “logistique” est très compliquée: les gorges font quand-meme 16 km de long, se terminant près de la mer, au hameau côtier de Agia Roumeli. Sur place, bus ou taxi, tu oublies: il n’y a pas de route. Pour aller à Sougia, à 13 km à l’ouest, c’est le ferry ou rien. Mais il n’y en a qu’un sur la journée, départ 17H30 pour arriver à Sougia un peu après 18H, passant ensuite le relais à un bus qui ramènera les visiteurs au parking près de Omalos! Tu vois le jonglage à effectuer? Alors, imagine si tu rates le bateau ou si celui-ci ne peut contenir tout le monde… Bloqué jusqu’au lendemain, à moins d’être assez dingo pour faire le trajet de 16 km en sens inverse, cette fois en montée… Après quelques tergiversations dans ma tête, je décide de lâcher l’affaire. Les puristes crieront au scandale: “mais quooiii? Renoncer aux gorges de Samaria, sérieux?”. Hé ben oui, et je ne m’en porterai pas plus mal par la suite! Attends de voir l’alternative que j’ai choisi.
Je n’aurai qu’une vingtaine de km à parcourir pour atteindre ma nouvelle cible “plan B”. La route est superbe et peu fréquentée, serpentant à travers les montagnes, ponctuée çà et là par les couleurs chatoyantes des lauriers-roses. De temps à autre, une petite église où une chapelle de bord de route, comme j’en ai tant vu en Grèce continentale, s’ajoute au paysage.




Me voilà donc au point d’entrée des gorges d’Agia Irini. Un petit resto en bord de route, quelques places de parking; 3 voitures, en incluant la mienne! Deux salles, deux ambiances par rapport à Samaria! Un petit sentier descend jusqu’à la billetterie, et pour 2€, j’ai mon sésame pour entrer dans un petit paradis bien caché…
Les gorges d’Agia Irini sont longues de 7 km et se terminent à quelques km de Sougia. Elles sont nettement moins connues et de ce fait moins fréquentées que leurs homologues de Samaria ou d’Imbros qui raflent presque tous les visiteurs; un peu comme Venise en Italie ferait de l’ombre à Trévise ou Padoue, pourtant de très belles villes. Que vont donc me réserver ces gorges méconnues? Démarrons la balade et tendons l’oreille: nulle voix humaine, personne ni devant ni derrière; les seuls faibles décibels proviennent du chant des oiseaux et du vrombissement de quelques insectes. Mais c’est le rêve! Aucun regret pour Samaria, ici je suis dédommagé au centuple! Je ne dépasserai QUE deux personnes, un jeune couple qui a compris l’état d’esprit des lieux en parlant entre eux presqu’à voix basse, pas comme les Pavarotti de pacotille des gorges d’Imbros…







Ce canyon est une merveille, un vrai bastion de tranquillité comparé à Samaria où les randonneurs doivent se suivre comme des chenilles processionnaires! Le sentier est facile et bien balisé (les repères en rouge sont bien utiles pour ne pas se fourvoyer), quoique certains passages soient un peu plus techniques, comme ces petits franchissements d’éboulis sur le cours de la rivière à sec, mais il ne faut pas s’appeler Mike Horn pour en venir à bout, loin de là… Et surtout, en matinée la majorité du parcours se fait à l’ombre, les arbres et la topographie des gorges y aidant! On y trouve aussi un ou deux point d’eau potable et des toilettes à mi-parcours.










Peu après la fin des gorges, un petit resto, la taverna Oasis, permet de se sustenter pour pas cher et de recharger ses batteries. La rando n’a pas été trop éreintante, à la fraîche, et je n’aurai croisé qu’une dizaine de personnes, c’est magique! Alors pour revenir à son point de départ, soit c’est un taxi, soit si on se sent en bonne condition, revenir via les gorges en sens inverse. J’en ai été tellement subjugué que j’ai opté pour l’alternative N°2, tout à mon aise!
Que ce soit dans les gorges de Samaria, d’Imbros ou d’Agia Irini, il y a de fortes chances que tu croises l’animal le plus emblématique de Crète: la chèvre sauvage, appelée “kri-kri”. De la taille d’une chèvre domestique, elle est endémique de la Crète et peut encore être aperçue dans certaines gorges de la région des Montagnes Blanches. La plupart se sont habituées aux visiteurs et sont peu farouches, mais vaut mieux faire attention quand elles sont en compagnie de leurs petits…




Je ne vais pas rentrer trop tôt à Kandanos, et la côte sud n’est pas trop éloignée. Alors, Sougia? Paleochora? Allez, va pour la deuxième alternative! Après une assez longue descente au gré d’une route de montagne à l’état parfois discutable, j’aperçois enfin la mer, et j’atteins Paleochora (Παλαιοχώρα), une grosse station balnéaire qui n’a pas encore été défiguré par le surtourisme. Les petites rues sont bien tranquilles, il faut dire asussi que durant l’aprem, beaucoup de petites boutiques font une coupure en fermant deux ou trois heures, c’est courant dans toute la Grèce. Oui, il y a bien quelques terrasses de restos le long de la mer, mais ce n’est pas aussi “m’as-tu-vu” qu’à Chora Sfakion, par exemple. Pas vraiment de monuments renversants, si ce n’est, perchée sur un promontoire, une forteresse vénitienne en ruines datant du 13ème siècle.





Retour sur Kandanos en fin d’aprem, j’y passerai ma dernière nuit, avant de repartir vers de nouvelles découvertes…
Le sud de la Crète, entre monastères et sites minoens.
Je quitte donc Kandanos de bon matin, une grosse étape de roulage m’attend pour rallier la côte sud de l’île, un peu à l’est de Plakias. Après m’être débarrassé de cette foutue voie rapide, une belle route de montagne me fait traverser les impressionnantes gorges de Kourtaliotiko, une des rares en Crète ayant la particularité d’avoir une rivière couler en permanence au fond. Non, pas de rando cette fois, mais le voyage est loin d’être fini, hein? Quelques km plus loin, sur une route de campagne entourée d’oliviers, un vieux pont ottoman enjambe une rivière. Il ressemble un pont aux vieux ponts génois de Corse.



Une petite route grimpe ensuite au milieu d’un paysage assez râpeux et désolé, excepté quelques touffes de végétation, quelque peu similaire aux hauteurs de Chora Sfakion. Le monastère de Prévéli fait enfin son apparition, face à un grand parking qui semble dire “bienvenue” aux autocars de passage… Mais pour le moment il n’y a que quelques voitures. Le monastère date du 16ème siècle et est encore habité par des moines. Perché sur un promontoire où le vent souffle pas mal, la vue sur la mer est de toute beauté. Sinon, quelques cellules pour les moines, une petite église, un petit musée aux divers objets liturgiques, le tour est vite fait, on reste un peu sur sa faim…
Il faut savoir aussi qu’à l’instar du monastère d’Arkadi, Prévéli a été un lieu symbolique de la résistance crétoise, aussi bien du temps des ottomans que durant la Seconde Guerre, où il fut un abri pour les soldats britanniques. D’ailleurs, 1 km avant le monastère, se dresse en bord de route un étonnant monument représentant un soldat et un pope, tous deux armés de mitraillettes! Heureusement, les popes sont bien plus pacifiques de nos jours!







Je continue ma route vers l’est. Le paysage est toujours montagneux, mais moins aride maintenant, les champs d’oliviers réapparaissent. Jamais monotone, toujours très beau, si on fait abstraction de quelques grandes serres en plastique servant à la culture de fruits et légumes.


On va maintenant s’intéresser un peu plus à l’histoire crétoise, et ça tombe bien car j’arrive au site minoen de Phaïstos, que je vais explorer. Mais qu’est-ce qu’un site minoen? Très bonne question. Alors, la civilisation minoenne, c’était bien avant les ottomans et les vénitiens, et encore avant les romains et les byzantins! Là, on vient de remonter le temps jusqu’en… 2600 av. J.-C! L’âge de bronze! Elle doit son nom au légendaire roi Minos, fils de Zeus et d’Europe, une princesse que le dieu-qui-ne-pensait-qu’à-çà avait enlevé. Après, la suite est connue: le Minotaure (rejeton de Pasiphaé, Mme Minos dans la vie, et d’un taureau), le labyrinthe de Dédale, Thésée, le fil d’Ariane… Bon d’accord, ici c’est plutôt la mythologie.
L’époque minoenne a duré un long moment, jusqu’en 1200 av. J-C au moins. Les minoens n’étaient pas manchots: ils ont développé l’agriculture, la culture de la vigne et des oliviers, le travail de la céramique… Ils étaient pacifiques et ne prenaient pas les armes pour un regard de travers. Ils avaient même leur propre système d’écriture, ressemblant aux hiéroglyphes, qui recèle encore aujourd’hui beaucoup de mystères. Les fameux palais étaient l’épicentre des cités minoennes, à la fois lieu de culte, centre administratif et lieu de stockage des denrées. Pour expliquer la fin de cette brillante civilisation, deux hypothèses se font face: d’un côté, l’éruption du volcan Santorin, d’une violence inimaginable, ressentie jusqu’en Crète malgré les 130 km de distance; de l’autre, l’arrivée de Mycéniens qui entreprirent la conquête de la Crète.
Bon, j’arrête de faire mon Stéphane Bern et je vais te faire découvrir Phaïstos, le deuxième site minoen de Crète, après celui de Knossos. Petite parenthèse pour déjà te dire que je ne suis pas allé au site de Knossos: trop touristique et surcoté pour ce qu’il y a à voir. Voilà, c’est dit. Phaïstos, perché sur un promontoire rocheux, offre une vue panoramique sublime sur les montagnes et la plaine de Messara. L’endroit est plus authentique que Knossos, il n’a pas été “remanié” après les fouilles, et même si il y a parfois du monde, le site est étendu, ce qui permet au public d’être bien dispersé.




Au programme: une grande cour centrale dallée, des escaliers larges et monumentaux, des vestiges de murs et de colonnes… Une partie du site fait encore l’objet de fouilles, mais dans son ensemble l’endroit n’a pas été défiguré comme à Knossos, dont Arthur Evans, cet archéologue fou furieux, “restaura” des pans entiers à grands coups de béton armé! Non, Phaïstos est resté vierge de tout vandalisme de ce style, et l’endroit reste empreint de sérénité. À voir aussi, ces énormes jarres magnifiquement décorées, qui devaient contenir de l’huile d’olive. Je pense que si on veut réellement découvrir un ancien site minoen, c’est à Phaïstos qu’il faut venir.









Pour en revenir au système d’écriture minoen, le fameux “Disque de Phaïstos”, ce disque d’argile de seulement 16 cm de diamètre, est recouvert de caractères ressemblant à des hiéroglyphes et disposés en spirale, des deux côtés du disque. Découvert en 1908, il résiste à toute tentative de décryptage depuis plus d’un siècle; cependant, un chercheur en linguistique pense avoir trouvé récemment la clé du mystère en décodant une partie des inscriptions. Ne tente pas de le trouver sur le site, il se trouve au musée archéologique d’Heraklion.

Pour ma petite pause de midi, je me rends 20 km au nord, vers un village de montagne dont le nom t’évoquera sans doute quelque chose si tu as été au supermarché: Zaros (Ζαρός), dont l’eau minérale, provenant des montagnes des alentours, est embouteillée dans le coin. C’est la seule eau minérale de Crète, la plus répandue sur l’île. À 2 km du village, le petit lac artificiel de Votomos a été créé en 1987 pour stocker l’eau des sources voisines. Des fermes piscicoles utilisent aussi l’eau des sources pour l’élevage de truites.
Le village de Zaros n’est pas vilain, mais connaît un gros problème: l’usine d’embouteillage est toute proche, et il est évident que les bouteilles, à destination des magasins et restos, n’ont pas de petites pattes pour y aller seules. Ça implique quoi? Que les camions qui viennent en prendre livraison passent malheureusement par la rue principale du bourg! Inutile de dire que les croisements peuvent être délicats si deux camions viennent à se croiser, sans parler des bus ou cars qui passent par ici! La création d’une voie de contournement serait une solution intéressante, mais j’ai pas l’impression que ce soit pour demain… Sinon, la petite taverna Vegera est un endroit super pour goûter de la vraie et copieuse cuisine crétoise.





Tu as bien aimé Phaïstos? Je te propose d’aller explorer un autre lieu important de l’histoire crétoise, à 15 km de Zaros: le site antique de Gortyne. Au début site minoen, qui se paya le luxe d’être la première rivale de Knossos, elle se développa tant et si bien à l’époque romaine qu’elle devint la capitale de la Crète. C’est ce qui explique les origines romaines de la majorité des ruines que l’on va voir ici.
Le site, côtoyant un grand parking, ne semble pourtant pas immense. On y verra les vestiges de la basilique Agios Titos, ainsi que l’Odéon, pas mal conservé avec ses gradins en demi-cercle et ses pans de murs encore debout. C’est derrière l’Odéon que se trouve le vrai trésor du site: le mur des “Lois de Gortyne”, une série d’innombrables caractères gravés sur un mur de 12 m de long qui représente en fait un recueil de lois de l’époque.







Et là, à la fin de la visite on se dit “hé ben, comparé à Phaïstos, c’est plutôt maigre!”. C’est tout ce qu’il y a à voir? Mais en regardant bien sur le plan en papier reçu à l’entrée, on constate que d’autres ruines nous attendent de l’autre côté de la route! Attention en traversant, les crétois ont parfois le pied lourd! Une passerelle ou un passage souterrain pourraient être des idées à creuser… Une fois de l’autre côté, il faut suivre à pied un petit chemin et puis s’engager sur une piste caillouteuse. À partir de cet instant, c’est un peu l’aventure, car rien n’est signalé, il faut y aller un peu au hasard ou en “trichant” un peu avec ce cher Google Maps. Il y a quelques ruines éparses: temple, anciens thermes, théâtre qu’on arrive à peine à deviner… En outre, des fouilles actives s’y déroulent toujours, ce qui interdit l’accès à certains endroits. C’est un peu foutraque, ça sent l’inachevé et ce n’est pas suffisamment mis en valeur. Même si Gortyne a eu une grande importance dans l’histoire de la Crète, les vestiges sont beaucoup moins parlants qu’à Phaïstos, c’est flagrant… Une visite en demi-teinte donc, il faut espérer que ça puisse s’améliorer dans l’avenir.





Le plateau du Lassithi.
Je reprends ma route encore plus vers l’est, en sillonnant les petites routes peu fréquentées de l’intérieur de la Crète. L’effervescence des spots touristiques de l’île est bien loin, et à aucun moment le paysage ne devient monotone: des oliviers, des vignes, des collines qui ondulent, des petites montagnes… De temps en temps je croise un tracteur ou un vieux pick-up, ou même un troupeau de moutons qui revient de pâture, ou qui y va, j’en sais rien.




Après avoir traversé un tas de petits villages et hameaux, j’attaque une dernière route de montagne, dernière étape avant d’atteindre ma destination de ce soir. Je suis déjà dans la partie nord-est de l’île, et la côte ouest se trouve bien loin à présent. En surplomb de la route, un alignement de gros moulins à vent partiellement en ruines fait face à un panorama superbe sur les montagnes. Une dernière petite descente, et me voilà face à un paysage étonnant, qui fait encore voler en éclats toutes les idées reçues à propos de l’aspect général de la Crète.



Voici une vaste plaine agricole fertile, quadrillée de petits chemins et de parcelles de vergers ou de cultures diverses: légumes, pommes-de-terre, céréales… Ce petit microcosme (10 km de long sur 5 km de large), hermétique au ramdam touristique et un peu hors du temps, s’appelle le plateau du Lassithi. Les plages bondées de transats? Les gorges aux touristes bruyants à la queue-leu-leu? Balayé, tout çà! Très peu de visiteurs prennent le temps de découvrir cet endroit magique, où authenticité, tradition et tranquillité sont les maîtres mots.
Cerné par les montagnes, le plateau du Lassithi connaît des épisodes hivernaux parfois très neigeux. De ce fait, la fonte des neiges au printemps rend les sols gorgés d’eau. Cette eau n’est pas perdue et est distribuée à travers tout le territoire. Mais de quelle façon? Tu remarqueras inévitablement ces petits pylônes surmontés de ce qui ressemble à des ailes de moulin; en réalité ce sont des éoliennes qui servent au pompage de l’eau et à l’irrigation des parcelles. Autrefois il y en avait des milliers sur tout le plateau; il n’en subsiste de nos jours que quelques-unes, les pompes à eau électriques ayant pris le relais. C’est triste de voir ces éoliennes tomber en ruines, certains pylônes sont déjà couchés par terre, bouffés par la rouille… Autres temps, autres techniques!










Tout autour du plateau, quelques petits villages très tranquilles se succèdent: Tzermiado (Τζερμιάδο), Agios Konstantinos (Άγιος Κωνσταντίνος), Agios Georgios (Άγιος Γεώργιος)… C’est au hameau de Magoulas (Μαγούλας) que je poserai mon sac cette nuit. Quelques maisons, un lavoir ancien, un petit hôtel-resto familial (on y mange super bien, d’ailleurs), et c’est tout. C’est le point de chute idéal poue une balade vespérale à travers les champs, en faisant un crochet par les petits villages de Kaminaki (Καμινάκι) et Psychro (Ψυχρό). C’est aux environs de ce dernier que se trouve la Grotte de Zeus (ou de Dikteon), lieu présumé de la naissance de Zeus (sans quoi on l’aurait pas appelé comme çà, hein); c’est le seul endroit vraiment touristique du plateau, mais pas de panique, on ne risque pas de voir déambuler des autocars à travers les petits chemins agricoles, les touristes dégagent aussi vite qu’ils sont venus.









En route vers Agios Nikolaos – les villages en “Kr”.
Je prends mon petit-déj’ en terrasse ce matin, après une bonne nuit paisible. Du balcon de ma chambre, je vois une bonne partie du plateau envahie par la brume, avec les montagnes en arrière-plan; cette perspective est magique! Le hameau de Magoulas s’éveille: quelques agriculteurs s’en vont aux champs en pick-up, une femme âgée vêtue de noir va conduire ses trois chèvres en pâture… Pour moi, il est temps d’y aller!

Avant de repartir encore un peu plus vers l’est, je vais faire un petit arrêt à Krasi (Κράσι), un discret petit village de montagne, où la vie s’écoule aussi tranquillement que l’eau de ses fontaines disséminées çà et là autour de la place principale. Sur cette place, outre quelques restos il y a aussi un monument plus qu’impressionnant, non pas fait de pierre ou de bronze, mais de bois et de feuilles: un platane de taille monstrueuse, d’une circonférence d’au moins 24 m à sa base et âgé certainement de plus de 1000 ans! Ce serait l’un des plus vieux de toute l’Europe, et c’est sûr qu’on en verrait pas beaucoup comme çà le long du canal du Midi…





Au gré des petites routes, je me rapproche d’Agios Nikolaos, mais attendons encore un peu avant d’y mettre les pieds. Je m’arrête 10 km avant, à Kritsa (Κριτσά), un gros village où je ne m’éterniserai pas, car en effet la folie touristique propre à certains coins de la Crète me revient à la face comme un boomerang… On n’est plus au Lassithi ou à Krasi, c’est flagrant. Le vilage est très beau, avec ses petites ruelles parfois fleuries et sa grosse église qui surplombe tout, çà c’est d’accord je ne dis pas le contraire. Mais les autocars repointent le bout de leur nez, car Kritsa est connu pour ses multiples boutiques d’artisanat (broderies de dentelle, cuirs…), et les touristes accros au shopping ne se font pas prier pour investir la rue principale en vue d’achats frénétiques! Heureusement, peu d’entre eux s’aventurent dans les multiples ruelles adjacentes, où on croise plus facilement 2 ou 3 chats que des gogos en tee-shirt “I ♥ Crete”. Ah, si le platane de Krasi voyait çà…










À 5 km de Kritsa, Kroustas (Κρούστας) est beaucoup moins fréquenté que son voisin; moins fréquenté mais plus fréquentable (pas mal, çà), l’endroit est d’un calme absolu et on croise peu de monde à travers ses ruelles dallées. Pas mal d’anciens, assis devant leur porte ou buvant un petit raki à l’un des kafeneio de la rue principale bordée de mûriers. Je suis persuadé qu’il y a des nonagénaires ou centenaires parmi eux.
Krasi, Kritsa, Kroutsas… les “villages en Kr” du titre de chapitre. Tu comprends mieux maintenant? Mais ça ne marche pas avec ma prochaine destination…







Il ne reste que 15 minutes de voiture pour atteindre Agios Nikolaos (Άγιο Νικόλαος), qui me replonge sans transition dans l’agitation touristique à laquelle certains coins de Crète ne peuvent échapper. Beaucoup de circulation et de monde, des terrasses de restos parfois envahissantes, même en juin il ne faut pas espérer s’y retrouver seul(e)! On le compare même (un peu exagérément je trouve) à un petit Saint-Tropez grec. Qu’à celà ne tienne, Agios Nikolaos n’en est pas invivable pour autant, j’avoue que sa plage et son front de mer sont assez sympas.
Et voilà qu’en franchissant un petit pont, on se retrouve face à quelque chose de plutôt inhabituel: un petit lac intérieur, de forme circulaire, bordé de petits restaurants et sur lequel dansent quelques barques de pêche. Le lac Voulismeni, comme il est appelé ici, est relié à la mer par un tout petit chenal et est alimenté par une source d’eau douce souterraine. On peut le longer à pied et aller voir cette petite chapelle blanche qui a déjà un petit air cycladique. Un belvédère au-dessus de la petite falaise qui l’enserre au sud offre un super point de vue. En définitive, malgré une fréquentation assez importante, Agios Nikolaos n’est pas si mal!














À 12 km au nord d’Agios Nikolaos, je fais un petit stop à Elounda (Ελούντα), une petite localité qui, à première vue, n’a pas l’air très aguichante: la longue rue principale voit passer pas mal de trafic, les bâtiments sont tout sauf traditionnels, et les boutiques de pacotille se comptent sur les doigts de plusieurs mains. Non, il vaut mieux se diriger vers la mer, c’est déjà plus tranquille, et puis il y a quelques trucs sympas à voir, comme ces anciennes salines (qui ont fonctionné jusque dans les années 1970) et des anciens moulins à vent.




