Retour sur l’île de Madère – 2023.

En 2016, j’avais passé quelques jours à Madère, cette petite île portugaise perdue en plein océan atlantique. Résultat: coup de foudre pour la beauté hypnotique de ses montagnes, sa forêt, ses “levadas”, son littoral… Alors oui ok, j’aime changer de destination chaque année; mais il peut m’arriver de vouloir revenir visiter un lieu qui m’a fait vibrer de façon particulière. L’île de Madère fait partie de ces endroits. Je t’y emmène pour quelques jours!

Le vol TAP en provenance de Lisbonne (où j’ai fait une courte escale) va bientôt atterrir à l’aéroport de Funchal. Seulement, on nous a déjà prévenu que le vent s’en donnait à coeur joie sur l’île, ce qui va rendre l’atterrissage quelque peu mouvementé. C’est monnaie courante dans ce coin de l’océan atlantique! Alors ça tangue de gauche à droite, ça fait des soubresauts. Je vois des passagers s’agripper à leur accoudoir, plutôt crispés; je compatis, mais moi je trouve çà marrant (je fais jamais comme les autres, tu me connais)! Les roues touchent le tarmac, et à l’arrêt de l’appareil j’aperçois deux personnes se signer en levant les yeux au ciel. Bienvenue à Madère!

Il est environ 16 heures (pour rappel, au Portugal, c’est une heure en moins qu’en France), je récupère ma voiture de location, mais pour la (re)découverte de l’île, on verra çà à partir de demain. Pour l’instant, quelques petites emplettes au supermarché Continente pas loin de l’aéroport, puis direction le nord-est de l’île, dans la région de Porto da Cruz, pour retrouver une petite route étroite qui rejoint bientôt une levada, un de ces petits canaux d’irrigation qui tisent leur réseau sur Madère. C’est que cette route, cette levada, je les connais bien: c’est dans ce paysage typique de la campagne madérienne que je vais me baser pour 3 nuits.

Et cette petite maison aux volets verts, tu penses que je la connais aussi, c’est là que j’avais passé deux nuits en 2016! Et c’est là que je reviens: chez mes chers amis Antoine et Cilène, dont je t’avais déjà parlé dans mon précédent carnet de 2016. La joie de les revoir, tu n’imagines pas… Antoine a un peu plus de cheveux gris, mais il n’a pas changé (toujours guide de randonnée), Cilène, son épouse brésilienne, est toujours aussi radieuse, elle est prof de yoga à présent, et organise des stages sur l’ancienne terrasse dela maison qui a été réaménagée. Les enfants on bien grandi aussi (j’adore leurs prénoms, une vraie invitation au voyage: Tao et Açu)! Je me fais un devoir de t’indiquer l’adresse de leur site internet:

https://lamaisonziazen.com/

La “Maison Ziazen”, chez Antoine et Cilène.
La vue depuis ma chambre.
Les alentours de la “Maison Ziazen”.

Hé bien me voilà installé dans mon petit coin de paradis! En attendant le petit repas du soir que Cilène va me concocter, je m’en vais revoir cette bonne vieille levada do Castelejo (pour savoir ce qu’est une levada, je te renvoie vers mon carnet de 2016). Je retrouve avec plaisir ce paysage boisé, au sein duquel la levada serpente le long d’une vallée étroite et encaissée avec, en face sur l’autre versant, le petit village de São Roque do Faial. Toujours des chèvres et des moutons un peu en contrebas, sans pour autant garantir que ce soient les mêmes qu’en 2016! Pour m’accompagner, rien que le glouglou de l’eau et le chant des oiseaux, et qui plus est, je n’ai croisé personne… J’en ai les poils qui se redressent de plaisir! Un excellent début de “reconnexion” avec Madère, avant cet original petit repas vegan en soirée, très bon au final. Je ne suis pas vegan, mais ma foi c’était une expérience intéressante à faire.

Levada do Castelejo.
Levada do Castelejo.
Balade le long de la levada do Castelejo.

Le lendemain, après un petit-déj’ tout aussui chouette, je suis prêt à attaquer ma journée. Un peu de grisaille dans le ciel, mais pas de stress: sur la côte nord de l’île, la météo est très versatile, et le soleil se montre toujours à l’un ou l’autre moment! Je retrouve ces routes que j’ai empruntées (accord participe passé 👨‍🏫) 7 ans plus tôt; ici un pont, là un virage avec un point de vue, tout me revient en mémoire. Je dépasse Porto da Cruz et Santana pour rejoindre São Jorge, tranquille petit village agricole qui surplombe l’océan. C’est justement vers la côte que je me dirige, plus particulièrement au niveau des ruinas, ces vestiges délabrés d’anciens moulins à canne à sucre, une culture encore fort présente sur l’île. Honnêtement, il n’en reste pas grand-chose, mais le décor environnant de hautes falaises face à l’océan rééquilibre la balance.

Environs de São Jorge.

Au-delà des ruines, un petit sentier longe l’océan, au pied des falaises. Alors ici attention, il y a une barrière qui, théoriquement, en empêche l’accès pour cause de risque de chute de pierres. Mais n’importe quel autochtone des alentours te dira qu’elle est plus décorative que dissuasive. Le nombre d’empreintes de pas en témoigne! Je décide de l’emprunter (mais çà n’engage que moi, hein), en faisant montre de prudence. Cette portion côtière de la partie nord de Madère est aussi magnifique qu’impressionnante. Et au bout de 20 minutes de marche, je la vois enfin: cette fameuse passerelle de bois, accrochée à la paroi d’une falaise, au-dessus des flots. Elle est dans un état épouvantable, je vois des planches bouger sous l’effet des coups de vent! Elle servait autrefois aux pêcheurs à rallier un petit embarcadère. Quelques casse-cous s’y risquent toujours, mais pour combien de temps encore? Ça te surprendra peut-être si je te dis que je ne l’ai pas fait!

Le sentier côtier de São Jorge.
Le sentier côtier de São Jorge: la paserelle en bois.
L’autre petit pont en bois a bien vécu lui aussi…

Après São Jorge et Arco de São Jorge, je passe près de Boaventura, en commençant à ressentir une petite pointe d’excitation. L’ancienne route côtière, qui datait des années 1950, a été désaffectée depuis un bout de temps; mais entre Boaventura et Ponta Delgada, subsiste le dernier tronçon “actif” de cette route audacieuse qui suivait l’océan au plus près ou flirtait avec le vide, que j’avais emprunté, dans les deux sens, en 2016. J’aimerais bien réitérer ce moment intense… Le panneau “antigua ER-101” est toujours là, allons-y. Mais au bout d’à peine 1 km, douche froide… Deux gros blocs de béton bloquent la voie. Un peu plus loin, un amas de terre et de pierres, qui ne ressemble pas à un remblai artificiel; un glissement de terrain, sans doute… Dommage, je ne pourrai pas m’offrir de nouveau ce petit shoot d’adrénaline! En même temps, la voie rapide côté nord est maintenant achevée, il était temps.

En contrepartie, je peux toujours me consoler en admirant les superbes panoramas sur la côte et Ponta Delgada!

Ponta Delgada.

Je n’ai pas envie de rester sur ce petit sentiment de déception; après avoir dépassé São Vicente, je m’en vais explorer une petite portion de l’ancienne ER-101 à pied. La vue sur les falaises de São Vicente face à l’océan est fantastique. L’étroitesse de la petite route, juste “sécurisée” par des parapets de béton sur le bord côté océan, laisse imaginer par le temps passé des croisements de véhicules qui ne devaient pas être tristes (surtout que des bus l’empruntaient aussi!). Après le tunnel, la route fait un genre de coude pour continuer son tracé à flanc de falaise; un peu plus haut, on aperçoit la nouvelle route. On dirait qu’elles se superposent, comme un passage de flambeau…

Falaises de São Vicente.
L’ancienne route ER-101.

Il est presque midi, n’est-il pas temps d’aller manger un morceau et de renouer avec la merveilleuse cuisine madérienne? Oh que si! Un peu avant São Vicente, je me souviens d’une petite churrascaria fréquentée plus par les locaux que par les touristes (une churrascaria au Portugal, c’est un resto style “grill” spécialisé dans les viandes). Oui, elle existe toujours! Je retrouve avec plaisir l’emblématique bolo do caco, ce petit pain rond, à base de farine et de patate douce, découpé en quatre et servi chaud avec du beurre à l’ail. C’est pas possible comme ça peut être bon… Je prends aussi du milho frito, ces petits cubes de maïs frit qui sont assez similaires à la polenta italienne, ainsi qu’une espetada, cette fameuse brochette de boeuf XXL souvent suspendue à la verticale sur une tige en métal; on fait juste glisser les morceaux de barbaque jusqu’à l’assiette avec sa fourchette! Et bien sûr, pour faire glisser en douceur tout ce petit monde, rien de mieux qu’une bière “made in Madeira”, la Coral!

Churrascaria Brasa Viva – sur la Er-101, un peu avant São Vicente.

Bolo do caco.
Bière Coral.
Milho frito.
Espetada.

Quelques km après São Vicente, je m’arrête à Seixal (pas de petit sourire en coin, on prononce Sei-chal!), ce petit village côtier sympa entouré de vignes, que j’ai traversé trop brièvement en 2016, d’autant que la météo grise et brumeuse de l’époque n’arrangeait pas les choses! Le coin est connu aussi pour sa plage de sable noir, mais le village en lui-même, avec ses petites rues, sa charmante église et le petit cimetière qui regarde l’océan, n’est pas à dédaigner.

Seixal.

Après Seixal et Porto Moniz, la ER-101 commence à grimper pour ensuite repartir en descente vers la côte sud de l’île: Ponta do Pargo, Jardim do Mar… Mais je ne vais pas sur la côte sud, non, au niveau du petit village de Achadas da Cruz, je bifurque à droite au panneau “Teleferico”. La côte ouest de Madère est connue pour ses falaises vertigineuses, qui dépassent souvent les 350 m de haut; Plusieurs miradouros jalonnent le sommet de ces falaises (des points de vue d’observation, quoi) pour s’en prendre plein la vue. C’est encore mieux à Achadas da Cruz: un téléphérique, au dénivelé hallucinant (un des plus raides que je connaisse), permet de descendre 350 m plus bas au niveau de l’océan et au pied des falaises. On y reviendra un peu plus tard, car oui tu vas avoir le plaisir de m’accompagner tout en bas! Regarde déjà la vue plongeante depuis le sommet, c’est quelque chose:

Houu que c’est haut…

Donc on prend le téléphérique? Ah non, j’ai jamais dit çà… On sautera pas en parachute non plus, tu t’imagines un peu le délire? Suis-moi vers le petit snack bar, que l’on va dépasser; un grand panneau informatif indique le début de la vereda do Calhau. C’est en fait un sentier qui, au gré d’innombrables zigzags, va me conduire en contrebas, au niveau de l’océan. Ça fait quelque chose comme 4 km de descente parfois raide, avec des passages où il arrive que les cailloux se dérobent sous les semelles, d’autres en escaliers taillés dans la roche, mais au final rien d’insurmontable. Le paysage est majestueux, et l’océan se rapproche peu à peu au gré de la descente. Ça n’a pas l’air super fréquenté, si j’ai croisé 2 personnes, c’est vraiment un maximum…

Sentier “Vereda do Calhau”.
Sentier “Vereda do Calhau”.

Et enfin, après 1H30 de descente, l’océan est là, tout près, au pied d’une dernière volée de marches taillées dans la roche. Pas de plage de sable fin ici, ce sont de gros rochers qui subissent les coups de boutoir des vagues. Il faut ensuite faire une vingtaine de mètres pour retrouver la fin du sentier qui rejoint la station “basse” du téléphérique.

Alors, qu’est-ce qu’il y a de beau, ici tout en bas? L’endroit s’appelle fajã da Quebrada Nova. Une fajã, c’est une petite zone agricole en bord de mer, composée de petites parcelles cultivables où les gens du coin entretiennent des pieds de vignes ou font pousser des légumes et du maïs. Le téléphérique leur sert de trait d’union entre le haut et la bas; et dire qu’avant sa construction, hé ben c’était le sentier que j’ai emprunté! Je remarque malgré tout certaines parcelles et petites maisons qui semblent abandonnées. En tout cas, ce qui est flagrant pour l’instant, c’est la force du vent qui me fait presque dévier quand je marche (ça doit pas être mal sur l’échele de Beaufort!).

Achadas da Cruz: fajã da Quebrada Nova.
Achadas da Cruz: fajã da Quebrada Nova.
Tu entends çà comme ça souffle?

Bon, il ne reste plus qu’à remonter! Mais cette fois, ce sera bien avec le téléphérique, dont le dénivelé est telle qu’on croirait presque les cables tendus à la verticale! C’est 3€ le trajet, mais en bas, il n’y a ni billetterie, ni préposé. Quand il y a du monde, ça va, les cabines font régulièrement leur trajet de 5 minutes, mais quand c’est plus calme, il faut appuyer sur un bouton vert pour que le gars d’en haut fasse remonter la cabine (en espérant qu’il ne se tape pas une petite sieste!). Alors, si on est descendu à pied, et qu’on ne paie pas en bas, il se passe quoi? Je suis certain que les resquilleurs existent et se barrent discrètement à l’arrivée, mais moi je sais me tenir, et j’achète un billet dès que je suis arrivé au sommet…

Voilà une petite journée sympa qui s’achève, j’entame mon retour vers Porto da Cruz, en reprenant la voie rapide qui, depuis 2016, a été achevée et finalisée… et en même temps sonné le glas total de la vieille route côtière. Une page qui se tourne! La vue plongeante sur Porto Moniz est superbe, ça change du brouillard de 2016! Je m’offre un petit arrêt à São Jorge pour manger un morceau (ce mix entre bolo de caco et hamburger est formidable!); les petits snack-bars pas touristiques sont encore assez nombreux sur l’île, c’est un bon moyen d’être en contact avec les locaux. Et je rejoins tranquillement en soirée mon petit coin de paradis.

Porto Moniz.

Je fais encore une petite balade pépère le long de la levada do Castelejo, de l’autre côté de la route. Marrante, cette petite illusion d’optique: on dirait que le cours de la levada remonte! Mais en réalité, c’est dû à la pente de la route. Cett partie du canal d’irrigation longe les habitations parsemées dans la campagne, où les habitants cultivent encore leur petite parcelle: vigne, patate douce, maïs… Des mini-canaux latéraux, bouchés avec une trappe ou parfois seulement un gros sac, leur permettent d’utiliser l’eau de la levada pour leurs cultures. Au loin, l’océan est caché en partie par la Penha de Águia (le Rocher de l’Aigle), une petite montagne d’origine volcanique. Un vrai décor de rêve… Des levadas, il y en a un paquet à Madère: sans doute plus connues, plus majestueuses que la levada do Castelejo. Mais elle, vois-tu, c’est particulier, c’est ma “levada de coeur”…

Levada do Castelejo.

Alors, quel temps fait-il ce matin? Encore un peu de grisaille, mais sec, c’est déjà çà! Je vais prendre un petit-déj’ improvisé au petit bar au coin de la ER-108; un petit café, une part de tarte pour une poignée d’euros, et on peut y aller. Au panneau “Ribeiro Frio”, je m’engage sur une petite route de montagne qui grimpe bien et qui n’est pas avare de virages serrés. Je la reconnais, cette route: c’est celle qui m’avait conduit en 2016 au Pico do Arieiro, pour une de mes randonnées les plus mémorables.

Mais on est sur Madère, et la météo ici est vraiment bipolaire; au fur et à mesure que je monte, voilà que le brouillard s’en même. Je bifurque vers la route du Pico do Arieiro, ça devient vraiment dense, vigilance au volant si tu te retrouves dans la montagne par une telle météo. J’espère que ça va se lever, le but de venir dans ce coin étant quand-même la qualité des panoramas! Je garde confiance, le temps change tellement vite. Et j’ai raison; en prenant la route à gauche vers Eira do Serado, ça s’améliore: le brouillard se déchire et le ciel bleu est en train de gagner la partie. Magnifique: les versants montagneux sont tapissés de jaune; ce sont des genêts, très jolis mais super envahissants, me confiera Antoine. Dressant leurs fleurs bleues, les vipérines de Madère sont aussi d’une grande beauté.

Genêts sur Madère.

Cette petite route, même à deux bandes, est assez étroite, en matinée ça va encore mais il n’est pas rare d’y croiser des cars de tourisme (ceux-là, s’ils pouvaient passer par le chas d’une aiguille, ils le feraient…). J’atteins le belvédère de Eira do Serrado (la route ne va pas plus loin) et je suis bien content que le brouillard se soit dissipé pour me permettre de contempler un des plus beaux paysages de l’île. Ue vallée étroite et escarpée, cernée par les parois vertigineuses des montagnes. On est ici à 1080 m d’altitude. Tout en bas, un village se blottit au creux de la vallée: c’est Curral das Freiras. J’en parle un peu plus loin, car c’est là que je descends, par un chouette sentier en zigzag.

Eira do Serrado.

Cette descente est clairement plus facile que celle de la Vereda do Calhau, le sentier alternant des tronçons pavés grossièrement et des portions caillouteuses, au gré d’innombrables virages. Une promenade de sénateur jusqu’au village en bas, en comptant un peu plus d’une heure. Les paysages sont à tomber, on s’en doute!

Sentier de Eira do Serrado à Curral das Freiras.

J’atteins donc Curral das Freiras, un des rares villages non-côtiers de l’île. En français, ça donne “ferme des religieuses”. Ah? Explication: au 16ème siècle, suite aux attaques de pirates qui pourrissaient la vie des insulaires, les religieuses du couvent de Santa Clara sont parties se réfugier au coeur de l’île, dans une vallée montagneuse difficilement d’accès. Des religieuses, tu n’en verras plus de nos jours, et la vision actuelle est moins poétique. La petite église et quelques petites rues ne sont pas mal, mais l’endroit est devenu vachement touristique, avec ses autocars et taxis, et les multiples restos essentiellement consacrés à la spécialité locale, la chataîgne, déclinée sous toutes les formes possibles (grillées, en soupe, en liqueur…). Bon, en même temps comme c’est l’heure de se sustenter, on peut toujours goûter çà! Ce sera une soupe de chataîgnes avec des morceaux de boeuf, accompagnée du sacro-saint bolo do caco qui, trempé dans la soupe, se sublime encore davantge! Une adresse pas trop tapageuse: le petit resto Vale das Freiras.

Curral das Freiras.
Curral das Freiras.
Soupe aux chataîgnes.

Et maintenant, pour revenir à Eira do Serrado, comment ça se passe? Le plus simple est de faire le chemin inverse, donc tout remonter jusqu’au sommet. Pour les flemmards, il y a aussi le bus 81 qui relie les deux points pour ensuite continuer vers Funchal. Cependant il existe une autre option “spécial barjots”, un genre dans lequel je me reconnais… Il faut savoir qu’il y a quelques années, Curral das Freiras et Eira do Serrado étaient encore reliés par une petite route de montagne vertigineuse; celle-ci est abandonnée à présent, les chutes de pierres devenant trop risquées pour la circulation. Oh oui, tu me vois venir avec mes gros sabots. C’est de ce côté-là, à un petit kilomètre de Curral, que je me dirige…

Avant le tunnel de la route VE-6, une petite route banale part sur la gauche. Je m’y engage, pour passer devant la petite chapelle San Rafael, un lieu insolite dédié aux motards (une moto dans une chapelle, ça se voit pas tous les jours!). Au-delà, deux gros blocs de béton bloquent l’accès. C’est ici que l’aventure commence. Elle n’est pas bien longue, cette route, c’est une histoire de 4 ou 5 km, mais il faut avouer qu’elle a bien morflé, comparativement à la route côtière. La taille de certaines pierres, à ce stade c’est plutôt des rochers, fait frissonner (on est certainement sur du 200 kg), et l’affaissement de l’asphalte est flagrant! Les parapets de béton côtoient immédiatement 200 à 300 m de vide. L’emprunter en voiture devait être une expérience, surtout en cas de croisement. Heureusement, vu la faible hauteur des tunnels, j’imagine que les bus ne s’y aventuraient pas!

Ancienne route de Curral das Freiras à Eira do Serrado.
Ancienne route de Curral das Freiras à Eira do Serrado.

Je n’inciterai personne à m’emboîter le pas, le risque est réel, je joue avec le feu. D’ailleurs, pensant croiser l’un ou l’autre esprit aventureux, je n’ai renconté personne, ayant l’impression parfois d’être le dernier humain sur terre. J’exacerbe mon sens de l’ouïe, à l’affut du moindre bruissement annonciateur d’une chute de pierre, marchant le plus près possible de la paroi. Je ne te l’ai pas dit, mais depuis le sentier de Eira do Serrado, on voit très bien la route qui se détache de la montagne. L’un ou l’autre randonneur m’a-t-il aperçu? Possible… Mais voici la fin de la vieille route, qui rejoint la nouvelle. Eira do Serrado n’est qu’à un kilomètre. Je m’en tire sans un caillou sur le crâne. Cinglé que je suis…

J’ai encore pas mal de temps devant moi l’aprem, que vais-je bien faire? Quelque chose d’un peu plus paisible et moins risqué, c’est sûr. Une levada? Il y en a une pléthore sur l’île… Ah oui, il y en a bien une que j’aurais voulu faire en 2016, mais faute de temps… Adjugé: je vais rallier la levada do Rei, en passant par Faial et São Jorge.

La levada do Rei est une très belle levada, populaire sans pour autant être une autoroute à randonneurs. Son dénivelé est très faible, et l’aller-retour fait environ 10 km. Aucune habitation sur ses bords: on est ici en plein coeur de la fameuse forêt laurisylve de Madère, d’une luxuriance incroyable (ah, ces fougères géantes!), un genre de forêt que l’on trouve aussi aux Canaries (Tenerife, La Gomera) et aux Açores. Elle est vraiment très agréable à parcourir, avec le chant des oiseaux pour fond sonore, si ce n’est parfois quelques passages étroits lorsqu’on croise du monde. Pour les laisser passer, un pied de chaque côté du courant, je me la joue Colosse de Rhodes version madérienne!

Levada do Rei.

Après un passage à travers un petit tunnel, la levada longe une falaise, bordée par le vide du côté opposé, cependant bien sécurisé par une clôture. Et j’atteins bientôt l’endroit le plus connu de la levada, un peu son “attraction-phare”: la falaise tapissée de fougères, et une cascade venant d’un ruisseau qui tombe directement sur le parcours à emprunter! Pas trop le choix, il faut passer derrière ou à travers, selon son débit! Quelle que soit la manière dont on s’y prend, on sera mouillé… deux fois, puisqu’il faudra y repasser! Un petit sachet plastique pour protéger mon téléphone et mon portefeuille, et en avant pout la petite douche! C’est que de l’eau, après tout, c’est quand-même moins dangereux qu’un rocher d’un quintal, pas vrai? La fin de la levada n’est pas loin, marquée par un petit ruisseau. Reste plus qu’à faire le trajet inverse et retourner chez Antoine, et voilà encore une journée bien remplie qui s’achève!

Levada do Rei.
Levada do Rei.

J’ai déjà dit au revoir à Cilène et Antoine hier soir, hé oui aujourd’hui ils partaient très tôt en avion pour Paris, un peu pour représenter Madère dans un festival consacré au yoga. Madère, Paris, c’est deux salles deux ambiances… Moi je me lève, ayant un petit pressentiment par rapport au “plic-ploc” que j’entends sur la toiture. Oh ben tiens, il pleut! Cette côte nord, décidemment! Ça bouscule mon planning, çà: je comptais me faire une dernière rando entre Caniçal et Porto da Cruz, et pas une des plus simples: il y a de belles dénivelées, et surtout il y a le passage de Boca do Risco, qui porte bien son nom tant il est étroit et flirte dangereusement avec 200 m de vide! Alors oui, les chutes de pierres sur les routes fantômes, il y a un risque, mais beaucoup moins grand que celui de glisser sur un sentier instable et détrempé, et faire un plongeon tout en bas qui sera le dernier! Oh, il devient raisonnable?? Pas possible! Ben si.

Bon, il me faut un plan B pour cette matinée. C’est à ce moment que je croise une camionnette chargée de tiges de canne à sucre, culture encore répandue sur Madère. TILT! Celà s’enchaîne très vite dans ma tête. On est en mai, ça signifie que, contrairement au mois de juin (2016 en l’occurence), la récolte et la transformation de la canne à sucre se fait pour le moment! Et Porto da Cruz, ce petit village au bord de l’océan et entouré de falaises, est à quelques km d’ici. Je t’y emmène, tu vas comprendre…

Porto da Cruz.

Si on fait abstraction de ce sale temps, Porto da Cruz est un petit village sympa, avec ses petites rues, son église face à l’océan et sa petite place où se dressent deux dragonniers (les arbres en photo ci-dessus). Moi, pour l’instant je cherche une haute cheminée en briques pour voir s’il en sort de la fumée. Oui, c’est le cas. C’est la cheminée de la distillerie de rhum Engenhos do Norte, qui est active de mars à mai. En juin, elle ne fonctionne plus, voici donc une lacune de mon voyage de 2016 que je vais combler.

Aux 15ème et 16èmes siècles, le sucre de canne de Madère était l’un des plus réputés d’Europe, et les exportations allaient bon train. La culture de la canne à sucre a malheureusement décliné au fil du temps, à cause d’une surexploitation et d’une maladie qui a causé des dégâts. De nos jours, il existe encore trois usines de traitement de la canne à sucre, dont celle de Porto da Cruz. Sa cheminée en briques de presque 30 m de haut est facilement reconnaissable.

Porto da Cruz: distillerie Engenhos do Norte.

Ce qui ne gâche rien à la visite, c’est qu’elle est entièrement libre et gratuite! Il ne faut pas penser y trouver du matériel de production high-tech, ce sont ici de vénérables machines fonctionnant encore à la vapeur datant du début des années 1930! Certains éléments encore plus anciens datent même du 18ème siècle. Les rangées de vieilles barriques côtoient des antiques cuves en cuivre et des anciens outils. Les tiges de canne sont pressées deux fois pour récupérer un maximum de jus, par la suite le jus va fermenter dans des cuves pendant deux jours avant d’être distillé dans des alambics. C’est l’alchimie de l’obrtention du rhum qui commence. C’est un plaisir que de voir ces incroyables machines fonctionner et cracher de la vapeur, surveillées par les ouvriers aux gestes précis. Quoique… y en a un qui s’est fait un peu tancer parce que par distraction, il a créé un “bourrage” de tiges de canne à la sortie de la première presseuse.

À côté de la distillerie, un espace-boutique permet d’acheter le divin breuvage, et il est possible de faire une petite dégustation; je dis bien “petite”, car c’est vraiment un fond de verre et c’est un peu expéditif. En même temps, il y a du monde aujourd’hui, et la pluie n’incite pas à rester à l’extérieur, alors c’est un peu l’usine!

Porto da Cruz: distillerie Engenhos do Norte.
Porto da Cruz: distillerie Engenhos do Norte.

Il faut 12 kg de canne à sucre pour élaborer un litre de rhum. Sur Madère, c’est du rhum agricole qui est produit. Le rhum agricole est produit à base de pur jus de canne, alors que le rhum traditionnel est produit à partir de mélasse, autrement dit le résidu de l’affinage du sucre. Le rhum agricole ne représente qu’environ 10% de la production mondiale de rhum, en l’occurence à Madère et en Outre-Mer (Guadeloupe, Martinique…).

Après avoir mangé un morceau, je retourne vers l’aéroport, distant de 15 km. Non, je ne repars pas tout de suite, là je vais rendre la voiture de location pour passer deux petites journées à Funchal, la capitale de l’île. Pour la rallier, rien de tel que la navette Aerobus qui fait le trajet en 30 à 40 minutes selon le trafic. Le tarif n’a pas bougé, c’est toujours 5 euros.

Alors, je ne vais pas te faire un compte-rendu détaillé de mon passage à Funchal, je t’invite à te référer à mon carnet de 2016. Je retrouve avec plaisir les petites rues pavées, les trottoirs ornés de calçadas, ces petites mosaïques représentant divers motifs, les maisons mêlant blancheur éclatante et noir de basalte (une roche volcanique)… Funchal n’a pas encore été sacrifiée sur l’autel du tourisme de masse, quoiqu’il puisse arriver qu’un bateau de croisière y montre le bout de sa proue… La circulation est présente, oui, mais sans pour autant être étouffante. Et certains modèles de bus (de moins en moins malgré tout) ont toujours l’air d’avoir au moins 30 ans!

Funchal.
Funchal.

Après la canne à sucre et le rhum, je voudrais faire plus ample connaissance avec le breuvage mythique de Madère: son vin fortifié, évidemment, dont la fermentation est “cassée” par un ajout d’alcool fort (comme le Porto), et ensuite “chauffé” dans des cuves spéciales pour lui faire atteindre son oxydation; ce processus reproduit la caleur naturelle des cales des bateaux d’autrefois qui l’exportaient vers des climats plus tropicaux. Le séjour en fûts des vins de Madère les plus dure au moins 20 ans; et il sont fait pour durer bien plus longtemps qu’une pile Duracell: il existe toujours des bouteilles des années 1850 (et sans doute d’autres encore plus anciennes) qui développent des arômes inimaginables!

C’est aux caves Blandy’s que je vais approfondir mes connaissances sur le précieux nectar. Voici une des plus anciennes caves de l’île, dont l’histoire a débuté en 1808 quand John Blandy débarque sur Madère; 3 ans plus tard, il démarre la production de vins avec ses deux frères au sein d’un ancien monastère franciscain. Plus de deux siècles après, c’est toujours la famille Blandy qui tient les rênes. Différents types de visite sont possibles, qui permettent de voir les différentes salles où des barriques de tailles diverses, souvent très vieilles, laissent opérer l’alchimie du vieillissement du vin. Il y a plusieurs étages, et plus on monte, plus il fait chaud (ça peut dépasser les 30 °C juste sous les toits du bâtiment); au fur et à mesure de sa maturation, les tonneaux sont transférés vers un endroit moins chaud pour éviter une trop grande perte par évaporation.

Caves Blandy’s à Funchal.
Caves Blandy’s à Funchal.

La cour intérieure n’est pas mal non plus, avec ses anciennes machines et ses pavés. Les caves Blandy’s recèlent aussi un petit musée, ainsi qu’un stock impressionnant d’anciennes bouteilles, certaines datant du début du 19ème siècle. Mais ce ne seront pas celle-là qui seront proposées à la dégustation finale, qui en général comporte 4 verres: 5 ans, 7 ans, 10 ans et 22 ans d’âge, en tout cas remplies un peu moins chichement qu’à la distillerie de Porto da Cruz! Une très belle visite, vraiment.

Caves Blandy’s à Funchal.
Caves Blandy’s à Funchal.

Pour ma dernière soirée, j’ai encore le temps d’aller me promener du côté de la rua Santa Maria et revoir ses fameuses portes peintes, et de retrouver le petit bar Venda Velha (qui n’a pas changé d’un pouce), pour siroter une autre boisson typiqement madérienne: la poncha, un genre de cocktail fait de rhum, de jus de citron ou d’orange et de miel. L’avion du vol retour, c’est pour demain matin… en moins mouvementé que l’atterrissage!

Poncha de Madère.

Et si tu veux bien, on va finir ce petit voyage sur une note musicale made in madeira:

Hé bien, ce petit voyage était vraiment comme un pélerinage, qui m’a permis de retrouver une île qui n’en finit pas de m’enchanter, d’en découvrir d’autres secrets (même si c’est vrai que parfois je m’engage dans des balades un peu risquées), et surtout de revoir des personnes que j’apprécie beaucoup! Cilène, Antoine, je vous dédicace ce carnet. Je reviendrai à Madère, c’est une certitude!

“En vérité, je pourrais passer un siècle à Madère”.
John Dos Passos (écrivain américain, 1896 – 1970).
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